Augustin Fresnel a été nommé à la commission des phares et balises en 1819 et s'est attaché à les perfectionner au niveau de la source de lumière et du système de projection1. C'est ainsi qu'il a été amené à mettre au point les lentilles à échelons. À sa mort le 14 juillet 1827, c'est son frère Léonor qui poursuivra son œuvre de modernisation des phares et contribuera à l'édition de ses œuvres complètes.

C'est dans un Mémoire sur un nouveau système d'éclairage des phares, qu'il lit à l'Académie des Sciences le 29 juillet 1822, que Fresnel décrit les principes théoriques et pratiques de ses inventions2.

« Je songeai, dès le commencement, à substituer de grandes lentilles de verre aux réflecteurs paraboliques. On sait qu'une lentille, comme un miroir parabolique, a la propriété de rendre parallèles les rayons partis de son foyer ; elle produit par réfraction l'effet que le miroir parabolique produit par réflexion. Cette application des lentilles à l'éclairage des phares ne pouvait être une idée nouvelle, car elle vient trop aisément à la pensée, et il existe , en effet, un phare lenticulaire en Angleterre ; mais il parait qu'il a peu d'éclat, ce qui tient probablement à la grande épaisseur des lentilles employées, qui est de 0,20 m , et peut-être aussi à la disposition générale de l'appareil, sur laquelle je n'ai pas de renseignements précis.

Si l'épaisseur des lentilles n'excédait pas l'épaisseur ordinaire des glaces, la lumière absorbée par le verre ne serait qu'une très petite partie de celle qui le traverse : la perte résultant de la réflexion partielle des rayons aux deux surfaces n'est que d'un vingtième, d'après les expériences de Bouguer ; et en la supposant  nême d'un douzième, on voit combien peu la lumière serait affaiblie par son passage au travers de ces lentilles, et quels avantages elles auraient à cet égard sur les meilleurs réflecteurs métalliques, qui absorbent la moitié de la lumière sous des incidences peu obliques, telles que celles de la majeure partie des rayons dans les miroirs paraboliques. C'est cette réflexion qui m'avait donné l'espoir d'apporter une économie notable dans l'emploi de la lumière en substituant des lentilles aux miroirs paraboliques.

Des liquides bien transparents, tels que l'eau et l'esprit de vin, n'absorbent qu'une faible partie de la lumière qui les traverse, même sur une longueur de vingt à trente centimètres ; et l'on aurait pu songer à appliquer aux phares les grandes lentilles que l'on fait avec deux verres bombés entre lesquels on introduit un liquide ; mais outre que le poids énorme de ces lentilles aurait beaucoup fatigué le mécanisme qui fait tourner l'appareil dans les phares à éclipses, le séjour prolongé des liquides entre ces verres bombés aurait fini par les salir intérieurement, et il aurait été très difficile de les nettoyer. Le mastic servant à luter leurs bords aurait pu d'ailleurs se dégrader en quelques points et donner passage au liquide. Il était donc beaucoup plus sûr de n'employer que des matières solides.

Il était nécessaire aussi, pour ne pas perdre une trop grande partie des rayons émis par la lumière placée au foyer, que chaque lentille embrassât tous ceux qui sont compris dans un angle de 45o, ce qui exige que l'angle prismatique du verre au bord de la lentille, ait 40o. On voit quelle épaisseur en résulterait au centre, si la lentille était terminée par une surface sphérique continue : cette grande épaisseur aurait le double inconvénient d'affaiblir beaucoup la lumière qui la traverserait, et de donner à la lentille un poids trop considérable.

Mais si l'on divise celle-ci en anneaux concentriques, et qu'on ôte à la petite lentille du centre et aux anneaux qui l'entourent toute la partie inutile de leur épaisseur, en leur en laissant seulement assez pour qu'ils puissent être solidement unis par leurs bords les plus minces, on conçoit qu'on peut également obtenir le parallélisme des rayons émergents partis du foyer, ou, ce qui revient au même, la réunion au foyer des rayons incidents parallèles à l'axe de la lentille, en donnant à la surface de chaque anneau la courbure et l'inclinaison convenables.

C'est Buffon qui a imaginé le premier les lentilles à échelons, pour augmenter la puissance des verres ardents en diminuant leur épaisseur ; mais d'après ce qu'il dit sur le sujet, il est évident qu'il proposait de les faire d'un seul morceau, ce qui rend leur exécution presque impossible ... »

Voici un compte-rendu d'époque sur ce sujet : rapport à la Société philomathique, séance du 3 août 1827 :

« Cet appareil consiste principalement en huit grandes lentilles carrées à échelons ayant 0,76 de largeur et de hauteur et dispos ées autour d'un bec de lampe qui porte quatre mèches concentriques et se trouve au foyer commun de ces huit grandes lentilles. En tournant autour de la lumière centrale elles promènent sur l'horizon les cônes lumineux formés par les rayons qu'elles ont rassemblés et les espaces obscurs qui les séparent, d'où résulte pour les observateurs éloignés une succession régulière d'éclipses et d'éclats. Afin d'augmenter la durée relative de ceux-ci, M.  Fresnel a ajouté à cet appareil huit autres lentilles beaucoup plus petites qui re çoivent les rayons qui passent par dessus les grandes lentilles  ; en sortant de ces petites lentilles, les rayons sont réfléchis sur des glaces étamées qui les ramènent vers l'horizon  ; cet appareil additionnel est disposé de manière à ce que l'éclat produit par chaque petite lentille précède celui de la grande lentille correspondante avec lequel il se renoue. L'effet total de cet appareil est triple de celui qu'on obtient avec huit grands réflecteurs paraboliques de 30 pouces d'ouverture, en tenant compte à la fois de la durée des éclats et de leur intensité. »

Ces images appartiennent au site de l' académie de Grenoble

Ces lentilles à échelons, appelées depuis lentilles de Fresnel et qui équipent aussi les rétroprojecteurs de nos classes sont l'objet de l'étude suivante. Henri Bouasse en a fait une étude magistrale dans son livre : Construction, description et emploi des appareils de mesure et d'observation, pages 516 à 519, paru en 1921. Quand on a lu son étude sur les Feux à éclats de Fresnel, on se demande que retrancher ou rajouter ? Les démonstrations sont si concises, le texte si limpide et les schémas si précis, qu'il me semble impossible de faire mieux : je vais donc le suivre fidèlement en y incluant quelques schémas supplémentaires afin d'illustrer encore mieux ses conclusions.

Figure 1 : lentille plan-courbe.

« Montrons qu'il est théoriquement possible de construire d'un seul morceau une lentille plan-courbe sans aberration pour une source ponctuelle S dont l'image doit se former au loin.

Écrivons l'égalité des chemins optiques (figure 1) :

(1)

Elle définit complètement le point D, puisque, le point B étant donné, i s'ensuit, puis r d'après la relation : sini = nsinr.

Posons :

L'équation devient :

D'où un faisceau de surfaces faciles à calculer dont l'une quelconque peut servir de seconde face à la lentille. On a, du reste, immédiatement l'angle A qui correspond à i. La tangente en D à la surface détermine un prisme sont l'angle est précisément A. On a :

Développant les sinus, on trouve immédiatement :

Le long d'un même rayon réfracté, toutes les surfaces ont leurs plans tangents parallèles. (figure 2).
Figure 2 : plans tangents le long d'un rayon réfracté.
Si la lentille était d'un seul morceau, son épaisseur au centre, par suite son poids, seraient énormes ; à supposer qu'on puisse obtenir sans soufflures une telle masse de verre. Mais rien n'oblige à utiliser une seule des surfaces : d'où les échelons de révolution autour de SO que limitent les surfaces utilisées au voisinage de leur intersection avec la face plane (voir les figures : 3 et 4).
Figure 3 : lentille à échelons.
Figure 4 : marche d'un faisceaux de rayons à travers la lentille.